Petit matin sur la forêt, petites volutes de brume qui s'élèvent, légères, discrètes et douces, des hautes cimes. Les troncs noirs se noyaient encore dans la pénombre de la nuit qui tardait à s'enfuir, comme retenue par les hautes ramures et les broussailles, tandis que, déjà, les cimes s'éclairaient d'un jour nouveau. La lumière pâle et délicate des premières heures du jour teintaient d'or et d'un vert clair, délicat, les rares feuilles restant sur les arbres tandis qu'elle donnait à la brume une profondeur, une texture particulières. Un véritable paysage de carte postale, un paysage à peindre et c'était bien pour cela que Lucy, les mains enfoncées dans ses poches pour échapper au froid, fredonnant une vieille chanson moldue, avançait le long du périmètre interdit: elle était à la limite des bois, à la limite de l'espace autorisé.

Watching every motion in my foolish lover's game
On this endless ocean finally lovers know no shame
Turning and returning to some secret place inside
Watching in slow motion as you turn around and say

Elle fredonnait à mi-voix, sans effet particulier, sans s'arrêter à la technique, à la façon dont elle modulait les notes, dont elle articulait les mots: Lucy ne chantait pas faux mais sa voix n'était pas à la hauteur de celle des plus grands. Elle le savait et ne chantait que pour elle, pas pour les autres: son don, c'était le dessin...pas le chant, même celui des vieilles chansons moldues qu'elle connaissait par son grand père, Arthur Weasley, "toujours aussi fondu de Moldus". Ces derniers mots étaient ceux de son père, Percy Weasley, haut gradé du Ministère, assez conscient de lui-même et, il fallait bien le dire, ancien élève brillant, qui exigeait ou plutôt attendait de ses deux filles qu'elles soient, elles aussi, brillantes. Ce qu'était Molly, la soeur aînée de Lucy, mais ce que n'était pas Lucy: intéressée non pas par la politique, le journalisme ou toute autre carrière prestigieuse, la jeune fille rêvait de devenir vétérinaire magique et de prendre soin des hiboux, des hippogriffes et autres créatures de rêve. Pour cela, Lucy étudiait avec acharnement l'art des potions, les sortilèges, la botanique ou les soins aux créatures magiques et...n'avait pas grand chose à faire du reste! Oh, bonne élève elle l'était, élève gentille, docile, toujours souriante et alerte en cours, assez attentive, même si les professeurs se plaignaient de sa manie de griffonner, sur toute infortunée feuille passant par là, dragons, portraits, licornes et toute autre chose pouvant devenir le sujet d'un dessin.
Ancienne préfète, Lucy avait fini par se faire connaître par son fameux coup de crayon auprès de beaucoup, et la Salle Commune des Poufsouffles lui devait certaines fresques. En effet, la salle des blaireaux était une salle troglodyte, ronde et douillette, que les membres de cette maison de tradition douce et tranquille avaient pris soin de rendre confortable. Ainsi, les fauteuils étaient épais et moelleux, de grands canapés s'étendaient comme autant d'offres à la paresse et contre les murs arrondis étaient appuyés des divans et des coussins, qui faisaient le tour de la pièce en lui donnant un aspect presque oriental. Plus ou moins artistes, les Poufsouffles avaient aussi, au fil des ans et des générations, embelli la pièce, avec moult draperies provenant de l'autre bout du monde ou juste de chutes de tissu de chez Mme Guipure, des guirlandes de Noël jamais ôtées des murs, des lustres parfois retouchés à l'aide de la magie, une profusion d'objets, de couleurs, de matières qui rendait la pièce absolument fascinante. Enfin, des dessins ornaient les murs, produits du pinceau ou de la baguette d'élèves plus doués que d'autres avec un crayon, et représentant des paysages fantastiques, des dragons, des créatures magiques ou non, des symboles...tout un charmant capharnaüm qui faisait que Lucy était absolument folle de sa Salle Commune et y passait des heures.

Take my breath away
Take my breath away...
Watching I keep waiting still anticipating love
Never hesitating to become the fated ones
Turning and returning to some secret place to hide
Watching in slow motion as you turn to me and say

Lucy fredonnait à mi-voix, mais dans le silence de cette heure, elle était audible à quelques dizaines de mètres, assez facilement: encore engourdi par les nuits qui se rafraîchissaient, le parc demeurait calme, tranquille, et surtout silencieux. Même les oiseaux ne chantaient pas, c'était dire! Et aucun rire de première année, aucun glapissement de ces petits élèves qui n'étaient, après tout, que des enfants. Aucune course-poursuite, pas la moindre agitation, juste le lac, d'huile car cette journée était sans vent, la brume qui s'élevait, et la forêt, paisible, sereine gardienne du château et de ses environs. Et Lucy, qui marchait le long des bois en rajustant son écharpe, en chantant et en songeant qu'elle aimait tant la vieille bâtisse que, le jour où ses études toucheraient à leur fin et qu'il lui faudrait quitter l'endroit, elle ressentirait un pincement au coeur. Malgré l'envie qu'elle avait de se lancer dans la vie, de vivre par ses propres moyens, quitter Poudlard serait une forme de déchirement, comme de quitter la maison de ses parents et peut-être plus encore, car elle passait plus de temps au château que chez elle. Et que si elle pourrait toujours aller passer le weekend chez sa famille, Poudlard, lui, lui deviendrait pour ainsi dire inaccessible dès qu'elle en aurait passé les portes munie de son diplôme du second cycle.

Take my breath away
Through the hourglass I saw you, in time you slipped away
When the mirror crashed I called you, and turned to hear you say
If only for today I am unafra...

Lucy se tut en remarquant une silhouette et comprenant que quelqu'un venait d'être témoin de ses vocalises matinales. Vestige de sa timidité d'antan, le rouge lui monta aux joues, une seconde, tandis qu'elle songeait qu'elle ne chantait pas très bien...loin, très loin de la voix rauque et entraînante de la chanteuse des Bizzard'Sisters, pour ne citer qu'elle! La jeune fille soupira, enfonça ses mains dans ses poches, un peu plus, et puis songea qu'elle serait bien aise d'avoir de la compagnie: ces derniers temps, elle ne voyait pas grand-monde.
Alors elle s'approcha d'un pas tranquille, attentive et curieuse: cette personne lui était de toute évidence inconnue.

Avez-vous déjà tenté de vous promener, très tôt le matin, dans un endroit où d'ordinaire le silence et la solitude sont tout-puissants, avant de vous rendre compte qu'ils ne sont qu'empereurs de verre, destinés a se briser a la moindre opposition?

C'est exactement le sentiment qu'eut Snow, a la lisière de la forêt, un matin d'automne. S'étant le plus possible rapproché de la limite autorisée pour la promenade, habillé chaudement, une capuche (rajoutée) rabattue sur sa tête pour couper court aux attaques du vent, il marchait tranquillement a la lisière de la forêt, les yeux fixés sur le moindre détail inhabituel a observer. Une feuille solitaire sur un arbre, un animal s'enfuyant alors qu'il en était encore loin... tout portait a attention.

S'asseyant sur son banc habituel, dont il ne comprenait toujours pas l'installation - qui aurait installé un banc a la frontière de l'espace autorisé? - il sortit un livre a l'apparence ancienne et a la provenance inconnue, une plume et de l'encre pourpre, et commença a écrire des phrases totalement incompréhensibles, sauf pour lui. Alternant alphabet connu, symboles et ruptures de phrases, il écrivait sans s’arrêter, sans se déconcentrer, comme guidé par une volonté extérieure. Malgré tout, c'était lui et uniquement lui qui écrivait, dans une sorte de langue écrite qu'il avait mise au point pendant ses cinq premières années.

Snow avait toujours aimé écrire. Dans son enfance, il s'agissait de poèmes, de textes innocents. Cela lui avait valu pas mal d'ennuis au départ, étant donné que la majeure partie des gens qu'il côtoyait le considéraient comme une fille, ce qui équivalait, quand on est un enfant, a une insulte. C'est d'ailleurs ce qui avait forgé son caractère froid et adaptable.
Néanmoins, une fois arrivé à Poudlard, il s'était remis a écrire, mais il s'agissait de recettes de potions, de tentatives de sorts, d'enchantements, de travaux sur les runes... qui n'étaient en rien de la copie ou de l'appropriation du travail d'autrui. Lorsque Snow écrivait quelque chose, c'était toujours inédit, et dicté par son propre esprit. Pour protéger ces travaux, et surtout pour éviter que tout ne s'ébruite en cas de problème, il avait mis au point un code, sous forme de langue écrite, afin qu'il reste seul à comprendre ses textes. Il n'avait pas donné de nom à ce code, estimant que cela n'était pas nécessaire. Il n'avait de toutes façons jamais révélé l’existence de ce code a quiconque.

Ce jour-là, il s'agissait d'une modification d'un sort de protection magique, adapté afin de devenir une pellicule d'énergie prenant la forme de son porteur, et se mettant autour de lui comme une armure. Le problème n'était pas la formation de la pellicule, mais plutôt la fixation a l'hôte. Il arrivait a la manipuler comme un écran, mais si il y avait rupture avec la baguette, la pellicule s'effondrait. Or, le sort était pensé comme une protection auxiliaire, qui permettrait au sorcier de lancer des sorts tout en possédant une protection, aussi mineure soit-elle.

- Ça vient des mots... Il faut réussit a rompre tout lien d'existence de ce sort avec la baguette, sans briser l'armure...

Tirant sa baguette, il prononça quelques mots a voix basse, et un écran d'énergie couleur herbe se créa, pour tomber aussitôt. Snow réessaya aussitôt, reperdit son écran, réessaya encore, et encore, jusqu'à ce que l'écran persiste quelques secondes après l'abaissement de la baguette. Il sourit et confina ses observations dans un carnet qu'il rangea aussitôt.

En effet, un son l'avait tiré de sa concentration. Une sorte de chanson, à bien y réfléchir.
Plus les secondes passaient, plus le son se clarifiait. Il s'agissait d'une voix féminine, et également d'une chanson.

Calant sa baguette sur une planche du banc, Snow rangea ses carnets et son matériel, reprit son arme avant de la remettre a sa place, et avança a la rencontre de la silhouette qui apparemment, avait eu la même intention puisqu'elle avançait également dans sa direction.

Bien, aucun doute, c'était un garçon. Oui, quand les gens sont grands, baraqués, plutôt beaux gosses, avec un habillement assez masculin, on peut penser soit à un garçon manqué nourri aux anabolisants, soit à un garçon tout court. Enfin, tout court, il avait l'air grand cet illustre inconnu, qui d'ailleurs n'était peut-être pas si illustre que cela, et qui était en train de ranger carnets, crayons...un livre du genre de ceux que Molly ramenait en vacances aux cris de "je l'ai emprunté à la bibliothèque et c'est très distrayant!", s'attirant un regard goguenard de Lucy qui levait alors les yeux de Brave New World, son amour du moment. Un joli roman, qui datait un peu et que Lucy adorait quoiqu'il eût une nette propension à la plonger dans un abîme, glauque, gluant, sombre, où se mêlaient misanthropie, peur de l'avenir, espoir d'un avenir meilleur et crainte d'un avenir bien pire. Mais c'était une oeuvre qui avait l'indéniable avantage de la plonger dans un état de détachement, lui permettant de prendre quelque distance avec elle-même et le monde, avec les autres, de les observer comme on observe une fourmilière grouillante, en se penchant au-dessus. Pourtant, Lucy ne se prenait pas pour une philosophe, ou pour un être détaché des réalités de ce monde; elle était humaine, elle aimait, elle souffrait aussi, parfois - pas en ce moment, ouf!-, elle avait ses défauts et ses qualités, ses tics, ses idées, ses préjugés, ses répulsions...elle avait ses opinions et sa vision de l'avenir, son envie, aussi, de se mêler à la danse des humains, et des sorciers, pour se construire une place, une petite forteresse. Bref, elle ne se croyait pas au-dessus des humains comme on peut surplomber les fourmis. Mais c'était un fait, elle avait des facilités à prendre le large, tant en réflexion qu'en imagination...elle en voulait pour preuve sa facilité à s'immerger dans un monde totalement inventé avec Lysander, quand ils avaient envie d'être des chevaliers moyenâgeux, ou des fées, ou des extraterrestres...On était, on serait, comme deux enfants qui jouent. Deux enfants qui construisent leurs propres mythes et leur propre monde, à défaut de ses contenter des contes qu'on leur offre.

Manifestement, le garçon l'avait repéré - d'un autre côté, Lucy n'était pas loin et la brume était désormais bien levée!- et arrivait d'un pas tranquille, ne paraissant pas outre mesure contrarié, dérangé, agacé, énervé, ou tout autre état négatif. Quand elle fut plus près, elle distingua un garçon, un joli garçon, presque un homme, probablement un peu plus âgé qu'elle, engoncé dans une capuche, à l'air globalement classe. Un Serpentard, mais Lucy n'avait pas coutume de s'arrêter à cela, à moins que son interlocuteur n'ait une vraie tête de crétin...bon, ce garçon là avait plutôt un visage avenant sinon attirant -non, Lysander, pas d'infidélités, enfin, promis!!-, l'air calme, voire l'air futé. Bon point pour monsieur, songea Lucy en couvrant de son pas souple et balancé les derniers mètres la séparant de l'inconnu toujours aussi illustre. Avec un léger sourire, pas un sourire "politique", elle était réellement contente de rencontrer du monde, elle engagea la conversation:

"Bonjour. J'espère que je ne t'ai pas dérangé en chantant..."

Tout Lucy, ça! S'excuser, ou presque, avant même de connaître le nom de l'illustre inconnu toujours aussi inconnu. Et toujours aussi illustre, enfin bref...La jeune fille, soudainement gênée de sa question somme toute assez bête, assez dangereuse aussi puisqu'elle pouvait être le point de départ de récriminations de la part du garçon, assez naïve - si il avait bougé, c'était qu'elle l'avait dérangée, hein?- et assez convenue puisqu'appelant une réponse polie du genre "maisnonmaispasdutout", passa la main dans ses cheveux. Ses yeux cillèrent -à peine guérie de sa timidité, elle n'aimait toujours pas regarder les gens dans les yeux quoiqu'elle s'y fut faite au fil du temps- quand ils croisèrent ceux de son interlocuteur, mais le sourire de Lucy demeura le même, léger et sincère. Pour un peu elle en aurait dansé d'un pied sur l'autre, mais elle se contint et pinça les lèvres dans un drôle de sourire, son sourire "Lucy se sent bête", tiré d'un seul côté, avant de reprendre:

"Désolée, question idiote...bref. Je suis Lucy, septième année, Poufsouffle, et toi?"